Page:Wolf - Les Hypothèses cosmogoniques, suivies de la Théorie du ciel de Kant, 1886.djvu/217

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s’exprimer par un nombre, est également loin de l’infini. Or il serait déraisonnable de mettre la Divinité en action pour ne lui faire employer qu’une partie infiniment petite de sa puissance créatrice, et de se figurer sa force infinie, trésor véritablement inépuisable, improductive de natures et de mondes, et se renfermant dans une éternelle inactivité. N’est-il pas plus logique, ou pour mieux dire, n’est-il pas nécessaire, d’attribuer à la création l’étendue qu’elle doit avoir, pour être un témoignage de cette puissance qui ne peut se mesurer avec aucune unité ? Par ces motifs, le champ de la manifestation des propriétés divines doit être tout aussi infini que ces propriétés mêmes[1]. L’éternité ne suffit pas à contenir les manifestations de l’Être suprême, si elle n’est pas unie avec l’infini de l’espace. Il est vrai que le développement, la forme, la beauté et la perfection naissent des relations des corps principaux et des substances qui constituent la matière de l’Univers ; et ces mêmes qualités se remarquent dans les dispositions imposées en tout temps à la nature par la sagesse divine. Il est aussi le plus digne de cette sagesse que ces qualités se développent comme un libre effet des lois générales imposées à la matière. On peut donc ainsi établir sur des fondements solides ce principe que l’ordonnance et l’arrangement de l’Univers découlent successivement dans la suite des temps des forces emmagasinées à l’origine dans la substance créée. Mais la

  1. La notion de l’étendue indéfinie de l’Univers a des contradicteurs parmi les métaphysiciens, et a été tout dernièrement combattue par M. Weitenkampf. Si ces savants, se fondant sur la soi-disant impossibilité de l’existence d’une quantité sans nombre ni limite, ne peuvent s’accommoder à cette idée, je leur poserai seulement en passant cette question : La suite future de l’Éternité ne contiendra-t-elle pas en elle-même une série véritablement infinie de variétés et de changements ? Et cette série indéfinie n’est-elle pas à la fois et dès maintenant tout entière présente à l’intelligence divine ? Or, s’il est possible à Dieu de faire que ce contenu de l’infini, qui existe tout à la fois dans son intelligence, se développe effectivement en une série de faits successifs, pourquoi n’aurait-il pas développé aussi le contenu d’un autre infini dans un enchaînement sans fin par rapport à l’espace, et n’aurait-il pas rendu sans limite le contour du monde ? Pendant qu’on cherchera la réponse à cette question, je profiterai de l’occasion qui se présente pour écarter la prétendue difficulté par un éclaircissement tiré de la nature des nombres, au cas où, après un examen attentif, on la considérerait encore comme une question demandant explication : Peut-on croire que ce qu’a produit, pour se manifester, une puissance infinie accompagnée d’une suprême sagesse, ne soit que la différentielle de ce qu’elle aurait pu produire ?