Page:Wolf - Les Hypothèses cosmogoniques, suivies de la Théorie du ciel de Kant, 1886.djvu/261

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Je citerai volontiers ici la boutade satirique d’un spirituel écrivain de la Haye, qui, après avoir passé en revue les nouvelles générales des Sciences, exposait plaisamment l’hypothèse de l’habitation nécessaire de tous les astres. « Les créatures, disait-il, qui habitaient les broussailles de la tête d’un gueux s’étaient habituées à regarder leur demeure comme une sphère immense, et à se considérer elles-mêmes comme le chef-d’œuvre de la création ; lorsqu’un jour une d’entre elles, que le ciel avait douée d’un esprit plus fin que les autres, un petit Fontenelle de son espèce, aperçut à l’improviste la tête d’un gentilhomme. Aussitôt elle rassemble les fortes têtes de son quartier et, d’un ton convaincu, leur dit : Nous ne sommes pas les seuls êtres vivants de la nature : voyez, voici un nouveau monde, sur lequel il y a encore plus de poux que chez nous. » Cette conclusion fait rire ; et pourtant le raisonnement de cet insecte ne diffère pas beaucoup de celui des hommes et repose sur des motifs tout semblables. Mais l’erreur nous paraît plus excusable de notre part que de la sienne.

Et pourtant examinons les choses sans prévention. Cet insecte d’abord ne me paraît pas mal choisi comme terme de comparaison ; par ses mœurs et le dégoût qu’il inspire, il représente très bien une classe d’hommes trop nombreuse. Parce que, dans son esprit, la nature est infiniment intéressée à son existence, il tient tout le reste de la création pour négligeable, dès qu’elle n’a pas son espèce comme but unique et direct. L’homme, placé lui aussi infiniment au-dessous de l’essence des Êtres supérieurs, n’est pas moins ridicule lorsque sa vanité se complaît dans la pensée de la nécessité de son existence. L’infini de la création comprend en soi, au même degré de nécessité, toutes les créatures que produit sa surabondante richesse. Depuis la classe la plus sublime des êtres pensants jusqu’au plus vil insecte, aucun membre n’est indifférent ; aucun ne pourrait manquer sans altérer la beauté de l’ensemble, qui a sa source dans l’enchaînement des êtres. Tout cet ensemble est réglé par des lois générales que la nature réalise par la combinaison des forces qui lui ont été primitivement imprimées. Puisqu’elle manifeste dans toute sa manière de faire l’ordre et la convenance la plus parfaite, il ne se peut qu’une intention isolée vienne interrompre sa marche régulière. À sa première formation, la naissance d’une planète n’a été qu’un produit presque insignifiant de sa fécon-