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seule : M. Mallarmé crut que la Poésie devait exprimer quelque chose, créer un mode entier de la vie. À cette destination nouvelle convenaient des moyens nouveaux : M. Mallarmé fut ainsi amené à considérer quelles choses la Poésie devait signifier, et par quels moyens.

La Poésie devait être un Art, créer une vie. Mais quelle vie ? Une seule réponse était possible : la Poésie, art des rythmes et des syllabes, devait, étant une Musique, créer des émotions. Or les émotions, dans notre âme, sont inséparables de leurs causes, des idées qui les provoquent. Le plaisir, la douleur, abstraits, n’existent point : il y a seulement des idées joyeuses ou pénibles. Une sonate peut bien nous procurer des émotions sans le secours d’un texte, scénario, ou programme ; mais, d’abord, la langue de la musique instrumentale est plus précise que la langue émotionnelle des syllabes ; puis, cette musique même crée une vie moins pleine que la musique dramatique, où l’auteur nous donne, avec les émotions, l’énoncé de leurs causes. Et cette nécessité est plus vive pour la Poésie : les émotions que les syllabes évoquent sont tellement délicates et ténues, qu’elles requièrent, absolument, l’adjonction à elles d’idées précises.

Des émotions, justifiées par des sujets, c’est le but de la Poésie. C’est la règle ferme et première, que M. Mallarmé a nettement sentie : par elle, la Poésie devient un Art. Mais quels sujets siéent à la Poésie ? Divers, suivant la diversité des poètes. La nature mobile et indéfinie, les femmes, l’or : ce sont choses émouvant les uns, indifférant aux autres. Chaque poète doit traduire, par la musique des mots, les idées et les émotions dont il est le plus intensément saisi.

M. Mallarmé était un Artiste : les sujets de ce genre,