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lascives, onduleuses, créations bien-aimées de ses yeux[1].

Un noble poète est mort. Des regrets ? Mais qu’est-ce, la mort d’un homme, sinon la disparition en nous d’un rêve ? Les hommes que nous croyons réels, ils sont la triste opacité de leurs spectres futurs. Une ombre seulement s’efface, lorsqu’ils s’en vont. Cependant le poète, pour nous, vit, en outre de la vaine existence corporelle, une vie plus haute, impérissable. Le poète est une agitation solennelle de paroles ; la mort du poète épure et avive notre fiction de lui, seule réelle[2].

Dans la cellule désolée d’un cloître, c’est un moine tâchant aux patientes écritures. Il a vécu ignorant et chaste : il transcrit le grimoire très ancien, peut-être quelque naïf roman d’Alexandrie, où s’accouplent deux enfants timidement rieurs. Et voici que le désir s’instille dans l’âme inoccupée du moine. Il évoque les amants à revivre devant lui leurs lascives tendresses. Puis il veut être lui-même cet amant bienheureux. Souvenir ou vision ? Hyperbole, plutôt, d’une réminiscence lointaine. Il veut, dans la cellule désolée, vivre la charmante et jeune vie de l’amour : il la vit. Il est avec l’enfant ingénue, dans le jardin familier : et sa notion des choses, sous l’amour subit, est transfigurée. Ils vont, princièrement, dans un jardin de féerie : ils vont dans un jardin prodigieux, hors du monde que leur habitude créait. Toutes fleurs s’étalent plus larges : les tiges des lys grandissent, enchantées : et ils vont,

  1. L’Après midi d’un faune. (Derenne, éditeur.)
  2. Le Tombeau de Théophile Gautier, toast funèbre. (Lemerre, éditeur.)