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Dis si je ne suis pas joyeux
Tonnerre et rubis aux moyeux
De voir en l’air que ce feu troue

Avec des royaumes épars
Comme mourir pourpre la roue
Du seul vespéral de mes chars.

Auprès d’Elle, dans son histoire, voici le Poète venu : et c’est comme la peur naïve d’un héros, lorsqu’il touche du pied, enfin, le territoire qu’il a bravement gagné.

Il est heureux d’un bonheur superbe : voici que rient en lui les désirs mauvais ; ils riraient haut leur triomphe, tous les mauvais désirs ingénus ; et cependant les nobles nuages ombrent encore le soleil, là haut ; n’est-ce point leur attenter, aux glaciers royaux, cette passion qui les oublie ?

Cette passion amoureuse oublie les glaciers royaux ; le Poète s’égaie encore, radieusement, avoir disparaître le soleil, la rouge roue du char vespéral, la roue glorieuse qui naguère trouait le ciel, parmi les mobiles empires des nuées.

… Je ne sais pas une plus expressive et savante musique. L’idée est dite entièrement : par les mots dominants des premiers vers ; ensuite par l’accumulation des images, composant, dans l’ordre même où elle fut saisie, l’image totale du char. Mais l’idée est dite si habilement, que rien d’elle n’entrave le libre développement émotionnel de la mélodie. Quatre vers d’un mode ensemble héroïque et léger préludent à l’envahissante passion ; la passion s’élève, dans les pleines sonorités du second quatrain ; enfin le motif d’un regret s’y adjoint ; entendez le chant d’une fougueuse joie un peu inquiétée.