Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/166

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du cerf à l’affût. Le meilleur résultat pour moi de cet exercice en campagne, c’est l’entrain du dîner qui couronne le jour. Pour en jouir, il ne faut pas que la fatigue ait été trop grande. Un excès de gaîté après un excès d’exercice est une affectation propre à de jeunes écervelés (je me rappelle bien d’en avoir été de mon temps) ; mais quelque chose au delà de la modération met l’excitation du corps à l’unisson de celle de l’esprit, et la bonne compagnie est alors délicieuse. Dans de telles occasions, nous revenions trop tard pour le dîner ; on nous en servait un exprès, pour lequel nous ne faisions autre toilette que de changer de linge ; ce n’était pas alors que le champagne de la duchesse avait le moins de bouquet. Un homme n’est pas bon à pendre qui ne sait boire un peu trop le cas échéant ; mais prenez-y garde : revenez-y par trop souvent et que cela tourne en réunions bachiques, la fleur du plaisir se fane, et vous devenez un de nos chasseurs de renard d’autrefois.

Un jour que nous dînions ainsi à l’anglaise, buvant à la charrue, à la chasse, à je ne sais quoi, la duchesse de Liancourt et quelques-unes de ses dames vinrent par partie nous visiter. Ce pouvait être pour elles l’occasion de trahir leur malignité, en cachant à peine sous les sourires leur mépris pour des façons étrangères ; il n’en fut rien, elles ne manifestèrent qu’une curiosité enjouée, un plaisir naturel à voir les autres gais et heureux. « Ils ont été de grands chasseurs aujourd’hui, disait l’une. Oh ! ils s’applaudissent de leurs exploits. — Ont-ils bu en l’honneur du fusil ? disait l’autre. Ils ont bu à leurs maîtresses certainement, ajoutait une troisième. J’aime à les voir en gaîté, il y a là quelque chose d’aimable dans ceci. » Il semblera peut-être superflu de prendre note de semblables bagatelles ;