Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/268

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extraordinaire : une foule immense se pressait en dedans et autour de l’église ; l’inquiétude des regards, la variété d’expression causée par la différence des opinions et des sentiments, imprimaient aux visages de tout le monde un caractère que je n’avais jamais vu auparavant. La seule affaire d’importance que l’on traita, et qui dura jusqu’à trois heures, fut la réception du serment et de la signature de quelques députés absents au Jeu de Paume, et la réunion de trois évêques et de cent cinquante députés du clergé, qui vinrent faire vérifier leurs pouvoirs et furent accueillis par de tels applaudissements, de telles acclamations de la foule, que l’église en retentit. Apparemment les habitants de Versailles, au nombre de 60,000, sont, jusqu’au dernier, dans les intérêts des communes : ceci est remarquable, car cette ville est nourrie par le palais, et si la cour n’y est pas populaire, on peut supposer ce qu’en pense le reste du royaume. Dîné avec le duc de Liancourt au Palais : il s’y trouvait beaucoup de noblesse et de députés des communes, entre autres le duc d’Orléans, l’évêque de Rhodez, l’abbé Siéyes, et M. Rabaud-Saint-Etienne.

Voici un des exemples les plus frappants de l’impression que produisent les grands événements sur les hommes de classes diverses. Dans la rue et dans l’église Saint-Louis, il y avait une telle inquiétude sur chaque visage, que l’importance du moment se lisait dans les physionomies. Toutes les formes de civilité ordinaires étaient négligées ; mais parmi les personnes du rang bien plus élevé avec lesquelles je m’assis à table, la différence me frappa. Il n’y avait pas, dans trente convives, cinq personnes dans la figure desquelles on pût deviner qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire ; la conversation fut même plus indifférente