Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/284

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Je ne me souviens pas du nom de l’endroit où je dînai en allant à Nangis ; mais c’est une station de poste, à gauche, un peu à l’écart de la route. Il n’y avait qu’une mauvaise chambre avec des murailles nues. Le temps était froid et le feu me manquait ; car, à peine fut-il allumé, qu’il fuma d’une façon insupportable. Cela me mit d’effroyable humeur. Je venais de passer quelque temps à Paris, au milieu de l’ardeur, de l’énergie et de l’animation d’une grande révolution ; dans les moments que ne remplissaient pas les préoccupations politiques, je jouissais des ressources de conversations libérales et instructives, de l’amusement du premier théâtre du monde, et les accents enchanteurs de Mandini m’avaient tour à tour consolé ou charmé pendant des instants trop fugitifs. Le brusque changement de tout cela contre une chambre d’auberge, et d’auberge française, l’ignorance de chacun sur les événements d’alors qui le regardaient au plus haut point, la circonstance aggravante de manquer de journaux avec une presse bien plus libre qu’en Angleterre, formaient un tel contraste que le cœur me manqua. À Guignes, un maître de danse ambulant faisait sauter avec sa pochette quelques enfants de marchands ; pour soulager ma tristesse, j’assistai à leurs plaisirs innocents, et je leur donnai, avec une munificence grande, quatre pièces de douze sous pour acheter un gâteau, ce qui les remplit d’une nouvelle ardeur ; mais mon hôte, le maître de poste, fripon hargneux pensa que, puisque j’étais si riche, il en devait avoir sa part, et me fit payer neuf livres dix sous pour un poulet maigre et coriace, une côtelette, une salade et une bouteille de mauvais vin. Une si basse et si pillarde disposition ne contribua pas à me remettre de bonne humeur. — 30 milles.