Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/306

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suis endormi avec les fenêtres ouvertes et j’ai pris froid, selon que m’en a averti une douleur générale dans les membres. Je me lie aussi vite et aussi aisément que qui que ce soit, grâce à mon habitude de voyager ; mais je n’aime pas à me mêler aux étrangers quand je me sens malade ; c’est ennuyant, on s’en attire trop d’égards, on cause trop de dérangements. Ceci me fit refuser les instances obligeantes de MM. Lazowski et Pomponne et aussi d’une Américaine très jolie et d’agréable humeur que je rencontrai chez ce dernier. Son histoire est singulière, quoique fort naturelle. C’est une miss Blake, de New-York. Ce qui l’amena à la Dominique, je l’ignore, mais son teint ne souffrit pas du soleil des tropiques. Un officier français, M. Tibalier, lors de la conquête de l’île, la fit sa prisonnière, puis devint bientôt le sien, en tomba amoureux, l’épousa, ramena sa captive en France et l’établit à Lunéville, lieu de sa naissance. Le régiment dont il est major étant en garnison dans une province éloignée, elle se plaint de n’avoir pas vu son mari six mois dans deux ans. En voilà quatre qu’elle habite Lunéville, et la société de trois enfants l’a réconciliée avec une vie qui était toute nouvelle. M. Pomponne, qui, m’assura-t-elle, est le meilleur des hommes, reçoit tous les jours moins pour sa propre satisfaction que pour la distraire. Lui-même est, comme cet officier, un exemple d’affection pour sa ville natale ; attaché à la personne de Stanislas dans un emploi honorable, il a beaucoup vécu à Paris parmi les grands, dans la société intime des ministres ; mais l’amour du natale solum l’a ramené à Lunéville, où depuis longues années il vit aimé et respecté, au milieu d’une élégante bibliothèque dans laquelle les poètes ne sont pas oubliés, n’ayant pas lui-même peu de talent à traduire en vers fort agréables