Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/315

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la confusion présente, cette confusion lui sera reprochée par la postérité, puisqu’il pouvait donner aux états la forme qui lui plaisait. Il pouvait, par un décret, établir deux chambres, ou trois, ou une ; il pouvait organiser quelque chose qui eût abouti certainement à la constitution anglaise : rien ne lui manquait ; c’était la plus belle occasion pour élever un édifice politique qu’un homme eût jamais eue ; les plus grands législateurs de l’antiquité n’en connurent jamais de semblable. Selon moi, il l’a manquée complètement, et abandonné aux vents et aux flots ce qui aurait dû recevoir de lui et l’impulsion et la direction. J’avais des lettres pour M. de Bellonde, commissaire de guerre ; je le trouvai seul : il m’invita à souper, disant qu’il me ferait rencontrer des personnes bien informées. Lorsque je revins, il me présenta à madame de Bellonde et à un cercle d’une douzaine de dames et de trois ou quatre jeunes officiers ; lui-même quitta le salon pour se rendre auprès de madame la princesse de quelque chose, qui se sauvait en Suisse. J’envoyai de bonne heure la compagnie au diable, car je vis du premier coup d’œil, sur quoi elle avait tant de renseignements à me donner. Il y avait dans un coin une petite coterie autour d’un officier arrivant de Paris : ce monsieur voulut bien nous répéter ensuite que le comte d’Artois et tous les princes du sang, excepté Monsieur et le duc d’Orléans, toute la famille Polignac, le maréchal de Broglie et un nombre infini de gens de la première noblesse, s’étaient enfuis du royaume, que d’autres les imitaient chaque jour, et qu’enfin le roi, la reine et la famille royale se trouvaient à Versailles, dans une position aussi dangereuse qu’alarmante, sans confiance aucune dans les troupes, et, en réalité, prisonniers. Voici une révolution effectuée comme par magie : il