Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/357

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du savant. Au moment d’entrer à Aubenas, me trompant sur la route, qui n’est qu’à moitié finie, il me fallut tourner : c’était un terrain en pente et il y a rarement de parapets. Ma jument française a le malheur de reculer trop tout d’un coup, quand elle s’y met ; elle ne s’en fit pas faute en ce moment et nous fit rouler, la chaise de poste, elle et moi, dans le précipice ; la fortune voulut qu’en cet endroit la montagne offrît une sorte de plate-forme inférieure qui ne nous laissa tomber que d’environ 5 pieds. Je sautai de la voiture et tombai sans me faire de mal ; la chaise fut culbutée et la jument jetée sur le flanc et prise dans les harnais, ce qui la retint de tomber de soixante pieds de haut. Heureusement elle resta tranquille ; elle se serait débattue que la chute eût été imminente. J’appelai à mon aide quelques chaufourniers qui consentirent à grand’peine à se laisser diriger, en abandonnant chacun son plan particulier d’où il n’aurait pu résulter que du mal. Nous retirâmes d’abord la jument, puis la chaise fut relevée et la plus grande difficulté fut de ramener l’une et l’autre sur la route. C’est le plus grand risque que j’aie jamais couru. Quel pays pour s’y casser le cou ! Rester six semaines ou deux mois au Cheval blanc d’Aubenas, auberge qui serait le purgatoire d’un de mes pourceaux, seul, sans un parent, ni un ami, ni un domestique, au milieu de gens dont il n’y a pas un sur soixante qui parle français ! Grâces soient rendues à la bonne Providence qui m’en a préservé ! Quelle situation ! j’en frémis plus en y réfléchissant que je ne faisais en tombant dans le précipice. Je donnai aux sept hommes qui m’entouraient un petit écu de trois livres qu’ils refusèrent, pensant avec sincérité que c’était beaucoup trop. J’ai fait réparer mes harnais à Aubenas et visité, sans sortir