Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/41

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trophe imminente ! Jamais les utopistes n’ont imaginé de combinaisons aussi ingénieuses que celles que le cœur leur suggérait afin que pas un d’entre eux ne fût privé de ce sol qu’ils chérissent par-dessus tout. Il y aurait plaisir à retracer le tableau de ces petites communautés : on y verrait clair comme le jour qu’une vive intelligence, une bonne foi sans égale, mieux que cela, un dévouement inaltérable n’ont pu assurer l’existence de sociétés fondées sur un principe autre que celui de l’énergie individuelle.

Mais la loi, pour être inexorable quand c’est la nature qui l’impose, ne doit plus être subie sans indignation quand ce sont les hommes qui étendent, à leur bon plaisir, les limites de son domaine. On anéantit les Peaux-Rouges parce qu’il leur faut de trop grands terrains de chasse, dont l’homme civilisé sait tirer un parti plus avantageux à l’humanité : et dans notre vieux monde, au contraire, on sacrifie au passe-temps d’hommes blasés et désœuvrés la demeure de familles qui eussent pu vivre heureuses dans une modeste aisance. Et ces familles, après tout, n’avaient-elles rien à dire ? Leur nom seul, ce nom, le même pour toute la tribu, ne rappelait-il pas au chef, que la plus humble d’entre elles était de son sang, qu’elle l’avait aidé à conserver le patrimoine commun, qu’elle y avait droit au même titre que lui. La substitution de la loi romaine aux anciennes coutumes celtiques, en concentrant la propriété sur une seule tête, a consacré une usurpation au prix de laquelle le droit de conquête paraît modéré. Les déshérités ont accepté patiemment leur mauvaise fortune ; nulle révolte, nulle protestation n’ont troublé la quiétude de leurs frères aînés : n’est-ce pas quelque chose de profondément touchant que cette influence obscure mais persistante du sentiment patriarcal ?

Un mouvement assez vif s’est prononcé en faveur des