Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/42

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Celtes écossais, il devra s’étendre et les Anglais feront bien de méditer les magnifiques paroles que M. Albert Réville adresse à l’un de leurs historiens à propos des guerres puniques et de l’anéantissement de Carthage. « II est donc vrai que, même au nom d’une suprématie au fond justifiée, il est toujours mauvais de supprimer un foyer quelconque de la vie collective. Aucune nation n’a le droit de s’écrier : « Moi seule, et c’est assez !» L’écrasement d’un peuple vivant, ayant son caractère, son histoire, ses aptitudes spéciales, son génie propre, appauvrit toujours l’humanité dans une certaine mesure, et il est bon que l’historien rappelle souvent aux adorateurs de la force brutale que le meurtre d’une nation est toujours un crime, — un crime qui s’expie toujours. Rome, plus savante en géographie, aurait mieux connu le monde barbare et mieux su ce qu’elle avait à faire pour conjurer sa perte. Plus curieuse, plus inventive, mieux armée, — et tout cela se tient, — elle aurait autrement résisté aux invasions germaines[1]. » Quand d’autres peuples se contentent d’invoquer les missions providentielles dont ils se sont chargés bénévolement, le peuple anglais, disions-nous, ne prend pas tant de peine et ne se reconnaît d’autre devoir que de protéger la sphère de ses intérêts ; sacrés pour lui, ils le doivent être pour les autres ; à cet égard il n’admet pas la discussion. La lutte pour l’existence établie scientifiquement a permis à un peuple plus avancé d’adopter cette formule suprême : « La force prime le droit. » Oui, tant qu’elle est la force et tant que des excès de cette force il n’en naît pas une autre qui réduit à néant la première. Les événements ont leur morale comme ris ont leur logique, n’en doutons pas ; si le bien ne triomphait en fin de compte, le monde aurait cessé d’exister.

  1. Revue des Deux-Mondes, Vol. XXXI, année 1879, p. 44. — Les guerres puniques.