Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/192

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saint et madame Théodore, avec la petite Céline. Les pieds dans la boue, telles que des épaves battues par l’éternel flot des passants, elles n’avaient pas bougé, elles causaient sans fin, bavardes et dolentes, endormant leur misère sous ce déluge de commérages. Et, quand, suivi de Charles, Toussaint sortit, heureux de l’avance obtenue, il les trouva là toujours, il dit à madame Théodore l’histoire du poinçon, l’idée qu’il avait, avec tous les camarades, que Salvat pouvait bien avoir fait le coup. Mais celle-ci, devenue très pâle, se récria, sans laisser deviner ce qu’elle savait, ce qu’elle pensait au fond.

— Je vous répète que je ne l’ai plus revu. Pour sûr, il doit être en Belgique. Ah ! ouiche ! une bombe, vous dites vous-même qu’il est trop bon et qu’il ne tuerait pas une mouche !

En revenant à Neuilly, dans le tramway, Pierre tomba en une songerie profonde. Il avait encore en lui l’agitation ouvrière du quartier, le bourdonnement de l’usine, toute cette activité débordante de ruche. Et, pour la première fois, sous l’empire du tourment où il était, la nécessité du travail lui apparaissait, une fatalité qui se révélait aussi comme une santé et une force. Là, il découvrait enfin un terrain solide, l’effort qui entretient et qui sauve. Était-ce donc la première lueur d’une foi nouvelle ? Mais quelle dérision ! le travail incertain, sans espoir, le travail aboutissant à l’éternelle injustice ! et la misère alors guettant toujours l’ouvrier, l’étranglant au moindre chômage, le jetant à la borne comme un chien crevé, dès que venait la vieillesse !

À Neuilly, près du lit de Guillaume, Pierre trouva Bertheroy, qui venait de le panser. Et le vieux savant ne semblait pas rassuré encore sur les complications que pouvait amener la blessure.

— Aussi, vous ne vous tenez pas tranquille, je vous trouve toujours dans une émotion, dans une fièvre désas-