Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/267

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cela, vous verrez que d’épouvantables souffrances ! Peut-être aurons-nous la chance de soulager quelque pauvre être.

Pierre souriait de cette ardeur juvénile, chez ce vieil homme aux cheveux de neige.

— C’est dit, mon cher abbé. Je vais être bienheureux de passer la soirée entière avec vous, et cela me fera du bien, de vous suivre encore cette fois dans une de nos anciennes battues, dont nous revenions le cœur si gros de douleur et de joie.

La femme de ménage apportait la soupe. Mais, au moment où les deux prêtres s’attablaient, il y eut un discret coup de sonnette, et l’abbé donna l’ordre de faire entrer, lorsqu’il sut que c’était une voisine, madame Mathis, qui venait chercher une réponse.

— La pauvre femme, expliqua-t-il, elle avait besoin d’une avance de dix francs, pour dégager un matelas, et je ne les avais pas ; mais je me les suis procurés… Elle loge dans la maison, toute une misère discrète, des rentes si petites, qu’elles ne peuvent lui suffire.

— Mais, demanda Pierre, qui se souvint du jeune homme entrevu chez les Salvat, est-ce qu’elle n’a pas un grand fils de vingt ans ?

— Oui, oui… Je la crois née de parents riches, en province. Elle s’est mariée, m’a-t-on dit, avec un maître de piano qui lui donnait des leçons, à Nantes, et qui l’a enlevée, puis installée à Paris, où il est mort, tout un triste roman d’amour. En vendant les meubles, en réunissant les épaves, à peine deux mille francs de rente, la jeune veuve a pu mettre son fils au collège, vivre elle-même décemment. Et il a fallu un nouveau coup pour l’abattre, l’écroulement de sa petite fortune, placée en valeurs douteuses ; ce qui a réduit ses rentes à huit cents francs au plus. Elle a deux cents francs de loyer, il faut qu’elle se suffise avec cinquante francs par mois. Depuis