Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/60

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Camille découvrît tout et se fâchât, il l’assommerait d’un coup de poing, s’il faisait le méchant. La question, de tous les côtés, se présentait à Laurent facile et engageante.

Dès lors, il vécut dans une douce quiétude, attendant l’heure. À la première occasion, il était décidé à agir carrément. Il voyait, dans l’avenir, des soirées tièdes. Tous les Raquin travailleraient à ses jouissances : Thérèse apaiserait les brûlures de son sang ; madame Raquin le cajolerait comme une mère ; Camille, en causant avec lui, l’empêcherait de trop s’ennuyer, le soir, dans la boutique.

Le portrait s’achevait, les occasions ne se présentaient pas. Thérèse restait toujours là, accablée et anxieuse ; mais Camille ne quittait point la chambre, et Laurent se désolait de ne pouvoir l’éloigner pour une heure. Il lui fallut pourtant déclarer un jour qu’il terminerait le portrait le lendemain. Madame Raquin annonça qu’on dînerait ensemble et qu’on fêterait l’œuvre du peintre.

Le lendemain, lorsque Laurent eut donné à la toile le dernier coup de pinceau, toute la famille se réunit pour crier à la ressemblance. Le portrait était ignoble, d’un gris sale, avec de larges plaques violacées. Laurent ne pouvait employer les couleurs les plus éclatantes sans les rendre ternes et boueuses ; il avait, malgré lui, exagéré les teintes blafardes de son modèle et le visage de Camille ressemblait à la face verdâtre d’un noyé ; le dessin grimaçant convulsionnait