Page:Zola - Travail.djvu/103

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pas, mais elle le sentait très amoureux d’elle, sa décision fut prise d’entrer à son bras dans le monde classé des honnêtes femmes, où il serait pour elle le soutien, le moyen. Il dut lui acheter un trousseau, il l’accepta nue, avec la foi exaltée d’un dévot qui ne désirait d’elle que la déesse. Et, dès ce moment, la destinée s’accomplit, telle que Fernande l’avait voulue. Deux mois ne s’étaient pas écoulés, depuis le jour où son mari l’avait introduite à la Guerdache, qu’elle y séduisit Boisgelin, auquel elle céda brusquement, un soir, après avoir étudié avec soin le cas. Il s’était passionné pour elle, il l’aurait payée de sa fortune, au risque de rompre tous les liens. Elle, enfin, dans ce bel homme de cercle et de cheval, trouvait l’idéal cherché, l’amant de vanité, de folie et de largesse, capable des pires abandons pour se garder une maîtresse si belle, devenue indispensable à son luxe. Puis, elle contentait là toutes sortes de rancunes amassées, sa haine sourde de son mari, dont la vie de travail et le tranquille aveuglement l’humiliaient, sa jalousie grandissante contre la paisible Suzanne, qu’elle s’était mise à exécrer dès le premier jour, d’une exécration qui avait achevé de la décider à lui prendre Boisgelin, avec l’espoir de la faire souffrir. Et, maintenant, la Guerdache était en continuelle fête, Fernande y régnait en belle invitée, ayant réalisé son rêve de vie fastueuse, aidant Boisgelin à manger l’argent que Delaveau faisait suer aux douze cents ouvriers de l’Abîme, espérant pouvoir même retourner à Paris, un beau matin, pour y triompher avec les millions promis.

C’étaient toutes ces histoires que Luc roulait dans sa songerie, tandis que, d’un pas ralenti de promenade, il se rendait à l’invitation de Suzanne. S’il ne les connaissait pas toutes, il soupçonnait celles dont un avenir prochain allait lui permettre de pénétrer les moindres détails. Et, comme il levait la tête, il vit qu’il n’était plus