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dans une belle maison cossue, entourée d’un assez vaste jardin, et ils vivaient d’une quinzaine de mille francs de rentes de bonnes rentes, sur l’État, dont la solidité avait seule pu les rassurer. Leur bonheur, la joie béate de leur vie vécue désormais à ne rien faire, était passée en proverbe. « Ah ! être comme M. Mazelle, qui ne fait rien ! En voilà un veinard ! » Mais il répondait qu’il avait trimé dix ans, que sa fortune était bien à lui. La vérité était que, petit courtier en charbons, ayant épousé une femme qui lui apportait cinquante mille francs de dot, il avait eu le flair, ou peut-être simplement la chance, de prévoir les grèves dont la fréquence, depuis dix années bientôt, déterminait des hausses considérables sur les houilles françaises. Son coup de génie avait donc été de s’assurer, à l’étranger, d’énormes réserves de charbons au plus bas prix possible, puis de les revendre, avec de gros bénéfices, aux industriels de France que le manque brusque de combustible forçait à fermer leurs usines. Seulement, il s’était montré un véritable sage, en se retirant des affaires, vers la quarantaine, lorsqu’il avait eu les six cent mille francs, qui, selon ses calculs, devaient faire de sa femme et de lui un couple d’absolue félicité. Il n’avait même pas cédé à la tentation d’aller jusqu’au million, il craignait trop quelque mauvaise humeur de la fortune. Et jamais égoïsme heureux n’avait triomphé ainsi, jamais optimisme n’avait eu plus raison de dire que tout marchait pour le mieux en ce monde, de très braves gens, certes qui s’adoraient, qui adoraient leur fillette, venue sur le tard, qui offraient à eux deux, dans la pleine satisfaction de leurs appétits, loin de toute ambition et de toute fièvre, l’image parfaite du bonheur, du bonheur fermé, sans fenêtre sur le malheur des autres. Le seul aiguillon de ce bonheur était que Mme Mazelle, très grasse, très fleurie, se croyait atteinte d’une maladie grave, innommée, indéfinissable,