Page:Zola - Travail.djvu/114

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ce qui la faisait plaindre et dorloter davantage par son mari, souriant toujours, disant avec une sorte de vanité attendrie « la maladie de ma femme », comme il aurait dit « les cheveux, l’or unique des cheveux de ma femme ». Il n’en résultait ni crainte ni tristesse, et il en était de même de leur étonnement devant leur fillette Louise, qui poussait si différente d’eux, brune, maigre et vive, avec une amusante petite tête de chèvre, aux yeux obliques au nez mince. C’était un étonnement ravi, comme si l’enfant fût tombée du ciel en cadeau, pour mettre un peu de pétulance dans leur maison ensoleillée, que les digestions trop calmes endormaient. La belle société de Beauclair se moquait volontiers des Mazelle des pots, des poules à l’engrais, mais elle ne les en respectait pas moins, les saluait, les invitait, en rentiers que leur solide fortune faisait régner sur les travailleurs, sur les maigres fonctionnaires, sur les capitalistes millionnaires eux-mêmes, toujours en proie aux catastrophes.

Et l’on n’attendait plus que l’abbé Marle, le curé de Saint-Vincent, la paroisse riche de Beauclair, lorsqu’il arriva enfin, au moment où l’on se décidait à passer dans la salle à manger. Il s’excusa, ses devoirs l’avaient retenu. Il était grand, fort, la face carrée, avec un nez en bec d’aigle, une bouche large et d’un ferme dessin. Jeune encore, âgé de trente-six ans, il aurait volontiers bataillé pour la foi, sans un léger défaut de langue, qui lui rendait la prédication difficile. Et cela expliquait qu’il se résignât à s’enterrer à Beauclair, tandis que ses cheveux bruns coupés ras ses yeux noirs et têtus disaient seuls le militant qu’il avait rêvé d’être. Mais il n’était point sans intelligence, il se rendait parfaitement compte de la crise que le catholicisme traversait, n’avouant pas ses craintes parfois, lorsqu’il voyait son église désertée par le peuple, s’attachant à la lettre étroite des dogmes, dans la certitude que tout le vieil édifice serait emporté, le jour où la science