Page:Zola - Travail.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


« Enfin, moi, j’ai tout fait pour les travailleurs, dans ma fabrique caisse de secours, caisse de retraites, habitations à bon marché toutes les douceurs imaginables. Alors, quoi ? que veulent-ils de plus ?… c’est la fin du monde, n’est-ce pas, monsieur Delaveau ? »

Le directeur de l’Abîme, jusque-là, avait mangé d’un bel appétit, écoutant, ne se mêlant pas à la conversation.

« Oh ! la fin du monde, dit-il avec sa carrure tranquille, j’espère bien que nous ne laisserons pas le monde finir, sans lutter un peu pour qu’il continue… Je suis de l’avis de monsieur le sous-préfet, la grève s’est très heureusement terminée. Et j’ai même une bonne nouvelle : Bonnaire le collectiviste, vous savez, le meneur que j’avais été obligé de reprendre ? eh bien ! il s’est fait justice lui même, il a quitté l’usine hier soir. Un ouvrier excellent, mais que voulez-vous ? une tête brûlée, un rêveur dangereux… Ah ! le rêve, c’est lui qui nous mène aux abîmes ! »

Il continua, tâcha de se montrer très loyal, très juste. Chacun avait le droit de défendre ses intérêts. Les ouvriers, en se mettant en grève, croyaient défendre les leurs. Lui, directeur de l’usine défendait le capital, le matériel, la propriété, qu’on lui avait confiés. Et il consentait même à y mettre quelque indulgence, car il se sentait le plus fort. Son devoir unique était de conserver ce qui existait, le fonctionnement du salariat, tel que la sagesse de l’expérience l’avait peu à peu organisé. Toute la vérité pratique était là, il n’existait en dehors que des rêveries coupables, ce collectivisme par exemple, dont l’application aurait déterminé la plus effroyable des catastrophes. Il parla aussi des syndicats, qu’il combattait avec acharnement, ayant deviné en eux une machine de guerre puissante. Mais tout de même il triomphait, simplement en travailleur actif, en bon administrateur, heureux que la grève n’eût pas fait plus de ravages et qu’elle ne fût pas