Page:Zola - Travail.djvu/24

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Il ne devait pas fuir le combat, il amasserait des faits, il découvrirait peut-être enfin la voie certaine, dans l’obscure confusion où il se cherchait encore. Fils de Pierre et de Marle Froment, il avait, comme ses trois frères, Mathieu, Marc et Jean, appris un métier manuel, en dehors de ses études spéciales d’ingénieur ; il était tailleur de pierre, architecte constructeur bâtisseur de maisons ; et, s’étant plu à travailler de son état aimant à faire des journées dans les grands chantiers parisiens, il n’ignorait rien des drames du travail actuel, il rêvait fraternellement d’aider au triomphe pacificateur du travail de demain. Mais que faire, où porter son effort, par quelle réforme commencer, comment accoucher de la solution imprécise et flottante dont il se sentait gros ? Plus grand, plus fort que son frère Mathieu, avec son visage ouvert d’homme d’action, avec son front en forme de tour, son haut cerveau toujours en gésine, il n’avait jusque-là embrassé que le vide, de ses deux grands bras, impatients de créer, de construire un monde. Un brusque coup de vent passa, un vent d’ouragan qui l’emplit d’un frisson sacré. Était-ce donc en messie qu’une force ignorée le faisait tomber dans ce coin de pays douloureux, pour la mission rêvée de délivrance et de bonheur ?

Lorsque, relevant la tête, Luc se dégagea de ces réflexions vagues, il s’aperçut qu’il était rentré dans Beauclair. Quatre grandes voies, aboutissant à une place centrale, la place de la Mairie, coupent la ville en quatre parties à peu près égales ; et chacune de ces rues porte le nom de la cité voisine, où elle conduit : la rue de Brias au nord, la rue de Saint-Cron à l’ouest, la rue de Magnolles à l’est, la rue de Formeries au sud. La plus populaire la plus encombrée, avec ses boutiques débordantes, est la rue de Brias, dans laquelle il se trouvait. Car toutes les fabriques sont là, voisines, dégorgeant à chaque sortie le flot sombre des travailleurs. Justement, comme il arrivait,