Page:Zola - Travail.djvu/25

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la grande porte de la cordonnerie Gourier, appartenant au maire de la ville, s’ouvrit, lâcha la bousculade de ses cinq cents ouvriers, parmi lesquels on comptait plus de deux cents femmes et enfants. Puis, n’étaient, dans des rues à côté, l’usine Chodorge, où l’on ne fabriquait que des clous l’usine Hausser, une forge qui livrait plus de cent mille faux et serpes par an, l’usine Mirande, une maison qui construisait spécialement des machines agricoles. Toutes avaient souffert de la grève de l’Abîme, où elles s’approvisionnaient de fer et d’acier, la matière première. La détresse, la faim avaient passé sur toutes, et la population hâve et maigrie dont elles inondaient le pavé boueux gardait des yeux de rancune, des bouches de muette révolte, dans l’apparente résignation du troupeau qui se pressait et piétinait. La rue en était noire, sous les rares becs de gaz, dont les flammes jaunes vacillaient au vent. Et ce qui achevait de barrer la circulation, c’étaient les ménagères, ayant enfin quelques sous, courant chez les fournisseurs, se donnant le régal d’un gros pain et d’un peu de viande.

Luc eut cette sensation qu’il se trouvait dans une ville assiégée, au soir de la levée du siège. Des gendarmes allaient et venaient parmi la foule, toute une force armée, qui surveillaient de près les habitants comme dans la crainte de la reprise des hostilités, d’une brusque fureur, renaissant des souffrances cuisantes encore, achevant de saccager la ville, en une crise dernière de destruction. Le patronat, l’autorité bourgeoise avait pu avoir raison des salariés ; mais les esclaves domptés restaient si menaçants, dans leur silence passif qu’une affreuse amertume empoisonnait l’air et qu’on y sentait souffler tout l’effroi des vengeances, des grands massacres possibles. Un grondement indistinct sortait de ce troupeau qui défilait, écrasé, impuissant ; et l’éclair d’une arme, les galons d’un uniforme, çà et là, dans les groupes, disaient la peur