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Il s’était levé péniblement, il prit son chapeau et ses gants, pour se rendre chez les Delaveau. Et, dans la rue, Lucile, qu’il adorait malgré tant de souffrance, s’étant emparée de son bras, il eut un moment de délicieux oubli, comme après une querelle d’amoureux.

À l’Abîme, dès midi Delaveau vint rejoindre Fernande dans le petit salon, qui ouvrait sur la salle à manger, au rez-de-chaussée de l’ancien pavillon des Qurignon, où logeait maintenant le directeur de l’usine. C’était un logis assez étroit, il n’y avait en bas qu’une autre pièce, dont Delaveau avait fait son cabinet, et qui communiquait par une galerie de bois avec les bureaux voisins de l’exploitation. En haut, au premier étage et au second, se trouvaient les chambres. Depuis qu’une jeune femme, passionnée de luxe, habitait là, des tapis et des tentures avaient mis aux anciens murs noirs un peu des splendeurs et des jouissances rêvées.

Mais Boisgelin parut le premier, seul.

«  Comment  ! s’écria Fernande d’un air désolé, Suzanne n’est pas venue  ?

— Elle vous prie de l’excuser, répondit correctement Boisgelin. Elle a été prise ce matin d’une telle migraine, qu’elle n’a pu quitter sa chambre.  »

Chaque fois qu’il s’agissait de venir à l’Abîme, c’était ainsi Suzanne trouvait un prétexte pour s’éviter cette aggravation de douleur  ; et il n’y avait plus que Delaveau, dans son aveuglement qui n’eût pas compris.

Tout de suite, d’ailleurs, Boisgelin changea la conversation.

«  Eh bien  ! nous voilà donc à la veille du fameux procès. N’est-ce pas  ? c’est chose faite, la Crêcherie est condamnée d’avarice.  »

Delaveau haussa ses fortes épaules.

«  Qu’on la condamne ou non, que nous importe  ! Sans doute elle nous fait du tort, en avilissant le prix