Page:Zola - Travail.djvu/275

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des fers  ; mais nous ne sommes pas en concurrence de fabrication, et ce n’est pas encore bien grave.  »

Frémissante, d’une merveilleuse beauté, ce jour-là, Fernande le regarda de ses yeux de flamme.

«  Oh  ! toi, tu ne sais pas haïr… Voilà un homme qui s’est mis en travers de tous tes projets qui a fondé à ta porte une usine rivale dont le succès serait la ruine de celle que tu diriges, qui ne cesse d’être l’obstacle, la menace, et tu ne souhaites seulement pas sa perte  ! … Ah  ! qu’il soit jeté nu au fossé, moi je serai contente  !   »

Depuis le premier jour, elle avait bien senti que Luc allait être l’ennemi, et elle ne pouvait parler sans haine de cet homme qui menaçait sa jouissance. Là était le grand, l’unique crime, elle exigeait pour sa faim toujours croissante de plaisirs et de luxe des gains sans cesse accrus, une usine prospère, des centaines d’ouvriers pétrissant l’acier, devant la bouche incendiée des fours. C’était elle la mangeuse d’hommes et d’argent, dont l’Abîme, avec ses marteaux-pilons, ses machines géantes, ne suffisait plus à calmer les appétits. Et que deviendrait son espoir de grande vie future, de millions entassés et dévorés, si l’Abîme périclitait, succombait à la concurrence  ? Aussi ne laissait-elle de repos ni à son mari, ni à Boisgelin les poussant, les inquiétant, saisissant toutes les occasions de dire sa colère et ses craintes.

Boisgelin, qui mettait une sorte de supériorité à ne jamais s’occuper des affaires de l’usine, dépensant sans compter les bénéfices, dans sa gloriole de bel homme aimé, cavalier élégant, grand chasseur, avait pourtant un frisson, lorsqu’il entendait Fernande parler de ruine possible. Et il se tournait vers Delaveau en qui sa confiance restait absolue.

«  Tu es sans inquiétude, n’est-ce pas  ? cousin… Tout va bien ici  ?   »

De nouveau, l’ingénieur haussa les épaules.