Page:Zola - Travail.djvu/276

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«  Tout va bien, la maison n’est pas touchée encore… La ville entière se soulève contre cet homme, c’est un fou. On va voir son impopularité, et si je suis content au fond du procès, la raison en est que ça l’achèvera dans l’esprit de Beauclair. Avant trois mois, les quelques ouvriers qu’il nous a enlevés viendront, à mains jointes, me supplier de les reprendre à l’Abîme. Vous verrez, vous verrez  ! Il n’y a que l’autorité, l’affranchissement du travail est une bêtise, le travailleur ne fait plus rien de bon, dès qu’il est son maître.  »

Il y eut un silence, et il ajouta d’une voix ralentie, avec une ombre de souci dans les yeux  :

«  Pourtant, nous devrions être prudents, la Crêcherie n’est pas une concurrence négligeable, et ce qui m’inquiéterait, ce serait de ne pas avoir, dans une nécessité brusque, les fonds nécessaires à la lutte. Nous vivons trop au jour le jour, il devient indispensable de créer une sérieuse caisse de réserve, en y versant par exemple le tiers des gains annuels.  »

Fernande retint un geste d’involontaire protestation. C’était là sa crainte, que le train de son amant ne diminuât, et qu’elle n’eût à en souffrir dans les joies d’orgueil et d’amusement qu’elle en tirait. Elle dut se contenter de regarder Boisgelin, qui, d’ailleurs de lui-même, répondit nettement  :

«  Non, non  ! cousin, pas en ce moment-ci, je ne puis rien laisser, j’ai de trop grosses charges. D’ailleurs, je te remercie encore, car tu fais rendre à mon argent au-delà de ta promesse… Nous verrons plus tard, nous en recauserons.  »

Mais Fernande restait nerveuse, et sa sourde colère tomba sur Nise, que la femme de chambre venait de faire déjeuner seule, et qu’elle amenait, avant de la conduire passer l’après-midi chez une petite amie. Nise, qui allait avoir sept ans, grandissait en gentillesse, rose et blonde,