Page:Zola - Travail.djvu/280

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«  Il y a là une conception qui me dépasse, dit-il. Comment se gouvernera leur Cité future  ? Et parlons seulement de l’usine, ils disent qu’ils arriveront par l’association à supprimer le salaire, et qu’un juste partage de la richesse se fera, le jour où il n’y aura plus que des travailleurs, donnant chacun sa part d’effort à la communauté… Je ne sais pas de rêve plus dangereux, car il est irréalisable, n’est-ce pas, monsieur Gourier  ?   »

Le maire, qui mangeait la face dans son assiette, s’essuya longuement la bouche avant de répondre, en voyant le sous-préfet le regarder.

«  Irréalisable, sans doute… Seulement, il ne faut pas condamner à la légère l’association. Il y a en elle une grande force, dont nous pouvons nous-mêmes être appelés à nous servir.  »

Cette prudence indigna le capitaine, qui s’emporta.

«  Eh quoi  ? vous arriveriez à ne pas condamner en bloc les exécrables attentats que cet homme, je parle de ce M. Luc, médite contre tout ce que nous aimons, notre vieille France, telle que l’épée de nos pères l’a faite et nous l’a léguée  !   »

On servait des côtelettes d’agneau aux pointes d’asperge, et il y eut alors un soulèvement général contre Luc. Ce nom exécré suffisait à les rapprocher tous, à les unir étroitement dans la terreur de leurs intérêts menacés, dans un besoin impérieux de défense et de vengeance. On eut la cruauté de demander à Gourier des nouvelles de son fils Achille, le renégat, et le maire dut le maudire une fois de plus. Seul, Châtelard louvoyait toujours, tâchait de rester sur le ton de la plaisanterie. Mais le capitaine continuait à prophétiser les pires désastres, si l’on ne faisait pas tout de suite rentrer le factieux dans l’ordre, à coups de botte. Et il souffla une telle panique, que Boisgelin, pris d’inquiétude, provoqua une déclaration rassurante de Delaveau.