Page:Zola - Travail.djvu/279

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voilà une petite ville qui va se peupler rapidement. Tous en famille, tous papas et mamans, avec une ribambelle d’enfants à tout le monde  !

— Oh  ! l’horreur  !   » dit Fernande d’un air de profond dégoût, car elle affectait une grande pruderie.

Léonore, de plus en plus acquise à la morale sévère de la religion, se pencha vers l’abbé Marle, son voisin, en murmurant  :

«  C’est une honte que Dieu saura bien empêcher.  »

Mais l’abbé se contenta de lever les yeux au ciel, car sa situation devenait d’autant plus difficile, qu’il n’avait pas voulu rompre avec Sœurette et qu’il retournait déjeuner régulièrement à la Crêcherie. Il se devait à toutes ses ouailles, surtout à celles qui avaient déserté le bercail et qu’il feignait de croire capables de retour. C’était ce qu’il appelait rester sur la brèche, lutter contre l’envahissement du mauvais esprit. Son effort devenait vain, à sanctifier l’agonie de la vieille société, et il était pris d’une tristesse profonde, lorsqu’il voyait les fidèles de moins en moins nombreux dans son église.

Boisgelin se mit à raconter une histoire.

«  Parfaitement, dans une petite colonie communiste, dont on a tenté l’essai, il n’y avait pas assez de femmes. Et alors, qu’est-ce qu’elles faisaient  ? Elles défilaient, elles passaient une nuit avec chaque homme. On appelait ça le roulement.  »

Un petit rire flûté de Lucile sonna si gaiement, que toute la table la regarda. Mais elle resta très à l’aise, avec son air candide  ; et elle coula seulement son mince regard si clair vers son mari, le capitaine, pour voir s’il trouvait l’histoire drôle.

Delaveau eut un geste de désintéressement. Les femmes en commun, ça ne le préoccupait pas. Ce qui était grave, c’était l’autorité sapée, le rêve criminel de vivre sans maître.