Page:Zola - Travail.djvu/309

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du peuple la primitive beauté populaire, cette beauté de l’humble objet domestique, qui naît des proportions parfaites et de l’adaptation absolue à l’usage qu’on doit en faire.

Luc était frappé de cette beauté, en examinant les quelques bleues non vendues, dans la petite voiture. Et la vue de la Nu-Pieds, cette grande fille brune si belle, avec ses membres fins et nerveux de lutteuse, sa petite gorge dure de guerrière, l’emplissait aussi d’une admiration mêlée d’étonnement.

«  Hein  ? reprit-il en s’adressant à elle, ça doit être rude, de pousser ça toute une journée.  »

Mais elle était une silencieuse, elle se contenta de sourire, de ses grands de yeux de sauvagesse, tandis que le potier répondait pour elle.

«  Bah  ! on se repose à l’ombre, au bord du chemin, quand on rencontre une source… N’est-ce pas que ça va tout de même, la Nu-pieds, et qu’on est heureux  ?   »

Elle avait tourné vers lui ses yeux qui s’emplirent d’une adoration sans bornes, comme pour le maître tout-puissant et bon, le sauveur, le dieu. Puis, sans dire une parole, elle acheva de pousser dans le clos la petite voiture, qu’elle alla ranger sous un hangar.

Lange, lui, l’avait suivie d’un regard de tendresse profonde. Il faisait mine parfois de la rudoyer, en bohémienne ramassée sur les routes, dont il voulait rester le dompteur. Mais, à présent, c’était elle la maîtresse, il l’aimait d’une passion qu’il n’avouait pas, qu’il cachait sous son air de fils de paysan mal dégrossi. Ce petit homme trapu, à la tête carrée, embroussaillée de cheveux et de barbe, était, au fond, d’une infinie douceur amoureuse.

Il reprit soudain, avec sa franchise brutale, en se tournant vers Luc, qu’il affectait de traiter en camarade  :

«  Eh bien  ! ça ne marche donc pas, le bonheur de tous  ? Ils