Page:Zola - Travail.djvu/316

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un peu, est-ce que cela n’aurait pas le bon côté qu’on en viendrait à se connaître et à s’aimer davantage  ?

Mais, débordant de colère et d’amertume, Morfain se leva tout d’un coup, et il dit avec un grand geste tragique, sous le plafond de roche, qu’il touchait presque du front  : «  Va-t’en, va-t’en, dès que tu le voudras  ! … Fais comme ta sœur, crache sur tout ce qui est respectable, santé dans le dévergondage et dans la folie. Vous n’êtes plus mes enfants, je ne vous reconnais plus, quelqu’un vous a changés… Et qu’on me laisse seul dans ce trou sauvage, où j’espère bien que les roches elles-mêmes finiront par crouler et par m’écraser  !   »

Luc, qui arrivait, s’était arrêté sur le seuil et avait entendu ces dernières paroles. Il en fut très affecté, car il avait une solide estime pour Morfain. Longuement, il le raisonna. Mais celui-ci, d’ailleurs, depuis que le maître était entré, avait renfoncé son chagrin, pour n’être plus que l’ouvrier, le subordonné soumis, tout à sa tâche. Il ne se permettait même pas de juger Luc, la cause première de ces abominations qui bouleversaient le pays et dont il souffrait. Les patrons restaient les maîtres d’agir à leur guise, c’était aux ouvriers d’être d’honnêtes gens, en faisant leur besogne comme les ancêtres l’avaient faite.

«  Ne vous inquiétez pas, monsieur Luc, si j’ai des idées à moi, et si je me fâche, lorsqu’on les contrarie. Ça m’arrive bien rarement, vous savez que je ne cause guère… Et, vous pouvez en êtes sûr, ça ne fait pas de tort au travail, j’ai toujours un œil ouvert, pas une coulée n’a lieu, sans que je sois présent… N’est-ce pas  ? quand on a le cœur gros, on n’en travaille que plus dur.  »

Puis, comme Luc s’efforçait encore de mettre la paix dans cette famille dévastée par l’évolution dont il s’était fait l’apôtre, le maître fondeur faillit s’emporter de nouveau.