Page:Zola - Travail.djvu/333

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pourtant pas vous dissimuler davantage la catastrophe où nous allons.  »

Étonné, Jordan l’écoutait. Il restait fort calme, d’ailleurs. Il eut même un léger sourire.

«  N’exagérez-vous pas un peu, mon ami  ?

— Mettons que j’exagère, que la ruine n’est pas pour demain… Je ne m’en estimerais pas moins un malhonnête homme, si je ne vous prévenais pas de la crainte où je suis d’une ruine prochaine. Lorsque je vous ai demandé vos terrains, votre argent, pour l’œuvre de salut social que je rêvais, ne vous ai-je pas promis, non seulement une grande et belle action, digne de vous, mais encore une bonne affaire  ? Et voilà que je vous ai trompé, votre fortune va être engloutie dans la pire des défaites  ! Comment voulez-vous que je ne sois pas hanté du plus affreux remords  ?   »

D’un geste, Jordan avait tenté de l’interrompre, comme pour dire que l’argent ne comptait guère. Mais il continua  :

«  Et ce ne sont pas uniquement les sommes considérables déjà englouties, ce sont les sommes chaque jour nécessaires pour prolonger la lutte. Je n’ose plus vous les demander, car, si je puis me sacrifier tout entier, je n’ai pas le droit de vous entraîner dans ma chute, vous et votre sœur.  »

Il se laissa tomber sur une chaise, les jambes cassées, l’air abattu, tandis que Sœurette, très pâle, toujours assise devant sa petite table, les regards sur les deux hommes, attendait dans une émotion profonde.

«  Ah  ! vraiment, les choses vont si mal, reprit Jordan de sa voix tranquille. C’était pourtant très bien, votre idée, et vous aviez fini par me conquérir… Je ne vous l’avais pas caché, je me désintéressais de ces tentatives politiques et sociales, étant convaincu que la science seule est révolutionnaire et que c’est elle seule qui