Page:Zola - Travail.djvu/355

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marteaux. Et, cette nuit même, tandis que, les yeux ouverts sur les ténèbres, il se torturait, à la pensée des paiements prochains, se demandant par quel effort nouveau il pourrait produire et donner les sommes promises, elle sommeillait à son flanc, la chair contre sa chair, elle cuvait son ivresse du jour, gonflée, accablée de volupté, si lasse d’avoir joui, qu’il n’y avait plus d’elle que le petit souffle de sa gorge rassasiée. Par moments, son désir d’homme revenait vers cette compagne, qui était à lui, et qu’il ignorait absolument. Il la sentait nue, les membres alanguis, dans un complet abandon, à ce point qu’il aurait pu la prendre, sans qu’elle le sût peut-être. Puis, il retombait aux angoisses de sa bataille industrielle, elle n’était plus qu’une enfant inconsciente, dont il respectait le sommeil, de même qu’il tolérait ses caprices, en ne descendant jamais au fond de ce corps divin, l’idole de son culte. Et il finit par s’endormir, et il rêva que, sous l’Abîme, il y avait des forces perverses et diaboliques qui mangeaient le sol, pour que l’usine tout entière s’engouffrât, par une nuit fulgurante d’orage.

Les jours suivants, Fernande se rappela les craintes que son mari lui avait exprimées. Tout en faisant la part de ce qu’elle croyait son amour de l’argent mis en tas, sa haine des jouissances du luxe, elle eut un frisson, à la pensée de la ruine possible. Boisgelin ruiné, que deviendrait-elle  ? Ce n’était pas là seulement la fin de cette délicieuse vie qu’elle avait toujours voulue, cette revanche de sa misère d’autrefois, traînant des bottines éculées, sous l’exploitation brutale des hommes  ; c’était le retour à Paris en vaincus du sort, un logement de mille francs au fond de quelque quartier excentrique, un petit emploi où Delaveau végéterait, tandis qu’elle retomberait à la grossièreté, à la bassesse de son ménage de travailleurs. Non, non  ! elle ne consentait pas, elle ne se laisserait