Page:Zola - Travail.djvu/379

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il tomba, pendant que l’assassin fuyait, gagnait les pentes des monts Bleuses, où il disparut parmi les roches et les broussailles. Justement, Sœurette n’était pas là, occupée à la laiterie, de l’autre côté du parc. Les fillettes présentes, terrifiées s’enfuirent elles aussi, appelant au secours, criant que c’était Ragu qui venait de tuer M Luc. Il s’écoula quelques minutes avant que des ouvriers de l’usine entendissent et pussent relever la victime, évanouie sous la violence du coup. Une mare de sang avait coulé déjà, les marches de l’aile droite de la maison commune ou se trouvaient les écoles, en étaient rouges, comme baptisées. On ne songea même pas à poursuivre Ragu, galopant au loin. Et Luc, que les ouvriers s’apprêtaient à déposer dans une salle voisine, étant sorti de son évanouissement, les supplia, d’une voix faible  :

«  Non, non, chez moi, mes amis.  »

On dut lui obéir, on le transporta sur une civière au pavillon qu’il habitait. Mais ce fut à grand-peine qu’on le déposa enfin sur son lit et il y perdit de nouveau connaissance, sous l’atrocité de la douleur.

À ce moment, Sœurette arrivait. Une des fillettes avait eu la présence d’esprit d’aller la prévenir à la laiterie, pendant qu’un ouvrier courait à Beauclair, pour en ramener le docteur Novarre. Quand elle entra, quand elle vit Luc étendu, blême, couvert de sang, elle le crut mort, elle vint s’abattre à genoux, devant le lit en proie à une douleur si vive, que le secret de son amour lui échappa. Elle avait pris une de ses mains inertes, et elle la baisait, elle sanglotait, elle bégayait toute la passion combattue, enfouit au fond de son être. Elle l’appelait sa tendresse unique, son seul bien. En le perdant, elle perdait son cœur même, elle n’aimerait plus, elle ne vivrait plus. Et, dans son désespoir, elle ne s’apercevait que Luc, trempé de ses larmes, était revenu à lui,