Page:Zola - Travail.djvu/380

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et qu’il écoutait, avec une affection infinie, une infinie tristesse.

Puis, il murmura, d’une voix légère comme un souffle  :

«  Vous m’aimez, ah  ! pauvre, pauvre Sœurette  !   »

Mais elle, toute à la surprise heureuse de le voir vivant encore, ne regretta rien de son aveu, plutôt ravie de ne plus lui mentir, dans la certitude où elle était de l’aimer assez, pour qu’il ne souffrît jamais de cet amour.

«  Oui, je vous aime, Luc, mais est-ce que je compte, moi  ? Vous vivez, et cela me suffit, je ne suis pas jalouse de votre bonheur… Oh  ! Luc, vivez, vivez, je serai votre servante.  »

À cette minute tragique, dans la mort qu’il croyait proche, une telle découverte, cet amour si muet, si absolu, l’enveloppant, l’accompagnant en bon ange, le pénétrait d’une douceur immense et douloureuse.

«  Pauvre, pauvre Sœurette, oh  ! ma divine et triste amie  !   » murmura-t-il encore, de sa voix défaillante.

La porte se rouvrit, et ce fut le docteur Novarre qui entra, très émotionné. Tout de suite, il voulut examiner la blessure, aidé de Sœurette, dont il connaissait les qualités de bonne infirmière. Il régna un grand silence, un moment d’angoisse inexprimable. Puis, ce fut un soulagement inespéré, un attendrissement d’espérance. Le couteau avait rencontré l’omoplate, et il avait dévié, n’atteignant aucun organe important, ne déchirant que les chairs. Mais la blessure était affreuse, l’os devait s’être brisé, ce qui pouvait amener des complications. S’il n’y avait aucun danger immédiat, la convalescence serait certainement très longue. Et quelle joie pourtant, de voir la mort écartée  !

Luc avait abandonné sa main à Sœurette, souriant faiblement. Il demanda  :

«  Et mon bon Jordan, sait-il  ?

— Non, il ne sait rien encore, il s’est barricadé depuis trois