Page:Zola - Travail.djvu/408

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«  Vous savez, mon bon Gourier, conclut-il en riant, ça ne m’empêchera pas de me déclarer contre vous, ouvertement, lorsque vous aurez fait ce beau coup de passer à la société nouvelle. Je dirai que vous trahissez, ou que vous perdez la raison… Mais je vous embrasserai, quand je viendrai ici, car vous leur aurez joué là un fameux tour, qui vous rapportera gros. Vous verrez leurs têtes  !   »

Cependant, Gourier, effaré, ne consentit pas, discuta longtemps. fout son passé protestait, toute sa longue royauté de patron se révoltait à l’idée de n’être plus que l’associé des centaines de travailleurs dont il était resté jusque-là le maître absolu. Mais, sous son épaisse enveloppe, il y avait un esprit très délié en affaires, il se rendait très bien compte qu’il ne risquait rien, qu’il assurait au contraire sa maison contre tous les dangers de l’avenir, en suivant le conseil du sage Châtelard. Et puis, lui-même était touché par le vent qui soufflait, cette exaltation, cette passion de réformes, dont la fièvre contagieuse, aux époques révolutionnaires, affole justement les classes qui vont être dépossédées. Gourier finit par croire que l’idée était de lui, ainsi que Léonore, sur le conseil de son ami Châtelard, le lui répétait matin et soir, et il marcha.

Ce fut un scandale dans toute la bourgeoisie de Beauclair. On tenta des démarches, on alla trouver le président Gaume pour le supplier d’intervenir auprès du maire, puisque le sous-préfet avait formellement refusé de s’occuper de cette triste affaire, qu’il déclarait à haute voix scandaleuse, et dans laquelle, disait-il, il ne voulait pas compromettre l’Administration. Mais le président, qui vivait très retiré, ne voyant plus personne, depuis le jour où sa fille Lucile, surprise en flagrant délit avec un très jeune clerc de notaire, avait dû se réfugier chez lui, n’accepta pas non plus d’aller faire au maire des représentations,