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de bonté si accueillante  ; et, bien que Mme Bonnaire, la Toupe terrible, fût restée peu commode, il avait suffi, pour rendre la liaison intime, de la noblesse simple de Bonnaire, le héros du travail, un des fondateurs de la Cité nouvelle. Aussi fut-ce un charme que de voir, de part et d’autre, les enfants s’aimer, resserrer le lien qui s’établissait ainsi entre les deux classes anciennement en lutte. Antoinette, faite à la ressemblance de son père, forte et belle brune, avec beaucoup de grâce, avait passé par les écoles de Sœurette, et elle l’aidait maintenant dans la grande laiterie, installée au bout du parc, contre la rampe des monts Bleuses. Comme elle le disait en riant, elle n’était qu’une vachère, experte aux laitages, aux fromages et aux beurres. Et, quand on les maria, le fils des bourgeois retourné à la terre, la fille du peuple travaillant de ses mains, il y eut une grande fête, on voulut célébrer glorieusement ces noces symboliques, qui disaient la réconciliation, l’union du capital repenti et du travail triomphant.

Et ce fut l’année suivante, lors de la première grossesse d’Antoinette, que les Boisgelin, accompagnés de Luc, se retrouvèrent ensemble à la Guerdache, par une tiède journée de juin. Il y avait près de dix ans que M. Jérôme était mort, et que, selon sa volonté, le domaine avait fait retour au peuple. Antoinette, dont les couches venaient d’être laborieuses, se trouvait depuis deux mois pensionnaire de la maison de convalescence, installée dans le château où les Qurignon avaient régné. Elle put faire une promenade sous les beaux ombrages du parc, au bras de son mari, tandis que Suzanne, en bonne grand-mère, portait le nouveau-né. Derrière, à quelques pas, marchaient Luc et Boisgelin. Et quels souvenirs se levaient de cette royale maison transformée ainsi en maison de fraternité, de ces futaies, de ces pelouses, de ces avenues où ne retentissaient plus le bruit