Page:Zola - Travail.djvu/508

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Gourier n’avait encore rien dit. Il était mal à l’aise, d’être appelé à trancher une question pareille, lui dont le fils s’en était allé vivre avec Ma-Bleue, cette libre fille des rochers, qu’il recevait maintenant dans sa très bourgeoise demeure. Et l’aveu de sa gêne lui échappa.

«  C’est bien vrai, le mieux est encore de les marier. Lorsque les parents ne les marient pas, ils filent et se Marient tout seuls… Ah  ! dans quels temps vivons-nous  ?   »

Il levait les bras au ciel, il fallait tout l’ascendant de Châtelard, pour qu’il ne tombât pas à la mélancolie noire. Son goût d’autrefois, sa passion des petites ouvrières, lui faisait aujourd’hui, disait-on, une vieillesse hébétée, coupée de continuels petits sommes. Il s’endormait partout, à table, au milieu d’une conversation, dehors même en se promenant. Et il conclut de son air résigné d’ancien patron terrible, vaincu par les faits  :

«  Enfin, que voulez-vous  ? après nous le déluge, comme disent beaucoup des nôtres. Nous sommes finis.  »

Ce fut sur cette parole que le président Gaume arriva, très en retard. Ses jambes avaient enflé, il marchait avec peine, en s’aidant d’une canne. Il allait avoir soixante-dix ans et il attendait sa retraite, dans le dégoût caché de cette justice humaine qu’il avait rendue pendant de si longues années, en s’en remettant à la stricte application de la loi écrite, comme un prêtre qui ne croit plus et que seul le dogme soutient. Mais, à son foyer, le drame d’amour et de trahison avait continué son œuvre têtue, impitoyable. Après la mort de sa femme, qui s’était suicidée jadis sous ses yeux, et confessant sa faute, le désastre venait d’être achevé par sa fille Lucile, mariée au capitaine Jollivet, qu’elle avait fait tuer par un amant, avant de s’enfuir avec celui-ci. C’était toute une affreuse histoire, la fille coquette et sensuelle recommençant la trahison de la mère, acculant plus tard son mari à un duel, une sorte d’assassinat. Le capitaine appelé par une lettre anonyme,