Page:Zola - Travail.djvu/567

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qui, d’ailleurs, discrètement, évitait de triompher, devant cette agonie amère et violente du vieux monde. Cette fois-ci encore, il n’intervenait pas, il écoutait Hermeline nier furieusement tout ce qu’il avait créé, parce que tout avait réussi. C’était la révolte dernière du principe d’autorité contre la libération naturelle et sociale de l’homme, l’autre forme de la tyrannie, l’État tout-puissant en face de la toute-puissante Église qui se sont disputé voracement les peuples, quittes à s’entendre, à se liguer pour les reconquérir, le jour où ils les voyaient près d’échapper à la servitude civile comme à la servitude religieuse.

«  Ah  ! cria encore Hermeline, si vous vous avouez vaincu, l’abbé c’est bien fini, je n’ai plus qu’à me taire, comme vous, et à mourir dans mon coin  !   » Le prêtre hocha de nouveau la tête, en son douloureux silence. Pourtant, il déclara, une dernière fois  :

«  Dieu ne peut pas être vaincu, c’est Dieu qui doit agir.  »

Lentement, la nuit tombait sur le parc, le petit salon s’emplissait d’une ombre croissante, et personne ne parla plus, un grand frisson passa, venu du mélancolique passé. L’instituteur se leva, fit ses adieux. Puis, comme le prêtre se levait à son tour, Sœurette voulut lui mettre discrètement dans la main la somme qu’elle lui donnait à chacune de ses visites, pour ses pauvres. Mais cette aumône acceptée depuis plus de quarante ans, il la refusa, il dit, à voix lente et basse  :

«  Non, merci, mademoiselle, gardez cet argent, je ne saurai qu’en faire, il n’y a plus de pauvres.  »

Ah  ! quelle parole pour Luc, il n’y a plus de pauvres  ! Son cœur en avait bondi dans sa poitrine. Plus de pauvres, plus d’affamés, dans ce Beauclair qu’il avait connu si noir, si misérable, avec sa population maudite de travailleurs mourant de faim  ! Toutes les plaies affreuses du salariat allaient-