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de liberté, vers l’individu souverainement libre dans l’humanité libre.

Ragu l’écoutait, bouleversé peu à peu par ce bonheur conquis, qu’il aurait voulu nier encore. Et, ne sachant comment cacher l’ébranlement où il était, il cria  :

«  Alors, tu es anarchiste, à cette heure  !   »

Cette fois, Bonnaire s’égaya bruyamment.

«  Oh  ! mon bon ami, j’étais collectiviste, et tu m’as reproché de ne plus l’être. Maintenant, tu me fais anarchiste… La vérité est que nous ne sommes plus rien du tout, depuis le jour où le rêve commun de bonheur, de vérité et de justice s’est réalisé… Et, j’y songe, viens voir encore quelque chose, pour achever notre visite.  »

Il le mena derrière les magasins généraux, au bas même de la rampe des monts Bleuses, à l’endroit où Lange avait jadis installé ses fours rudimentaires de potier, dans un clos de pierres sèches, une sorte de baraquement d’artisan libertaire, vivant en dehors des coutumes et des lois. Aujourd’hui, tout un vaste bâtiment s’élevait là, une fabrique considérable de grès et de faïences, de laquelle sortaient les briques et les tuiles émaillées, les mille décors aux couleurs vives dont s’ornait la ville entière. C’était Lange qui s’était décidé à faire des élèves, cédant aux instances amicales de Luc, lorsqu’il avait vu un peu d’équité s’établir et soulager l’atroce misère. Enfin, puisque le peuple refleurissait à la joie, lui aussi allait donc pouvoir réaliser son rêve, laisser pousser de ses mains les terres cuites éclatantes, les épis d’or, les bluets et les coquelicots dont il voulait depuis si longtemps égayer les façades, parmi là verdure des jardins. On semblait lui bâtir une ville tout exprès la ville heureuse des travailleurs délivrés et ennoblis. Et, de ses gros doigts d’ouvrier génial, la beauté s’était épanouie, un art admirable, venant du peuple et retournant au peuple, toute la force et toute la grâce populaires primitives.