Page:Zola - Travail.djvu/70

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dès qu’ils furent sortis de l’Abîme, la nuit noire les reprit, ils sentirent derrière eux décroître les flammes et les grondements du monstre. Le vent soufflait toujours, un vent qui emportait au ciel le vol déchiré des nuages. De l’autre côté du pont, la berge de la Mionne était déserte, pas une âme.

Lorsque Luc eut retrouvé là, sur le banc où il l’avait laissée, Josine immobile, les yeux grands ouverts dans l’ombre, tenant contre son maigre flanc la tête de Nanet endormi, il voulut se retirer, car il estimait que sa mission était remplie, puisque Bonnaire maintenant se chargeait d’assurer un gîte à la triste créature. Mais ce dernier lui parut brusquement embarrassé, pris d’inquiétude à l’idée de la scène affreuse qui l’attendait au logis quand sa femme, la Toupe terrible, le verrait rentrer avec « cette gueuse ». D’autant plus qu’il ne lui avait pas encore annoncé sa résolution de quitter l’usine, et qu’il prévoyait une grosse querelle, quand elle le saurait sans travail, volontairement sur le pavé.

« Voulez-vous que je vous accompagne ? proposa Luc. J’expliquerai les choses.

— Ma foi, monsieur, répondit-il, soulagé, ce serait peut-être une bonne affaire. »

Il n’y eut pas une parole échangée entre Bonnaire et Josine. Celle-ci semblait honteuse devant le maître puddleur, et, s’il la prenait en une sorte de pitié paternelle, dans son indulgence de brave homme, sachant d’ailleurs ce qu’elle souffrait avec Ragu, il n’était pas sans la blâmer d’avoir cédé à ce mauvais garçon. Doucement, en voyant revenir les deux hommes, elle avait réveillé Nanet ; puis, sur un encouragement de Luc, elle et l’enfant s’étaient mis à les suivre, marchant dans leur ombre, en silence. Et tous quatre, filant à droite, le long du remblai du chemin de fer, ils étaient entrés dans le vieux Beauclair, dont les masures au sortir de la gorge