Page:Zola - Travail.djvu/69

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beau-frère de Fauchard dans le pilonnier, ainsi perché, immobilisé durant des heures, ne vivant plus que par le petit geste machinal de sa main, au milieu de l’assourdissant vacarme qu’il déchaînait. Le levier à droite pour que le marteau retombât, le levier à gauche pour qu’il se relevât, et c’était tout, et la pensée de l’enfant tenait là, dans ce court espace. Un instant, à la lueur vive des étincelles, on put le voir, si frêle et si mince, avec sa face blême, ses cheveux décolorés, ses yeux troubles de pauvre être dont le travail de brute, sans attrait, sans libre choix, arrêtait la croissance physique et morale.

« Si monsieur veut bien que nous partions, je suis prêt », dit Bonnaire, comme le marteau-cingleur se taisait enfin.

Luc vivement se retourna, et il se trouva en face du maître puddleur, vêtu d’une cotte et d’une veste de grosse laine, tenant sous le bras un petit paquet, ses vêtements de travail, de menus objets à lui, tout son déménagement, puisqu’il quittait l’usine pour n’y plus revenir.

« C’est cela, filons vite. »

Mais Bonnaire s’attarda encore. Comme s’il avait pu oublier quelque chose, il donna un dernier coup d’œil dans la hutte en planches, qui servait de vestiaire. Puis, il regarda son four, le four qu’il avait fait sien depuis plus de dix ans, vivant de sa flamme, y conquérant par milliers de kilogrammes l’acier qu’il envoyait aux laminoirs. S’il partait de sa propre volonté, dans l’idée que tel était son devoir, pour les camarades et pour lui, l’arrachement n’en était que plus héroïque. Et il refoula l’émotion qui le serrait à la gorge, il passa le premier.

« Prenez garde, monsieur, cette pièce est encore chaude, elle mangerait votre soulier. »

Ni l’un ni l’autre ne parlèrent plus. Ils traversèrent les deux cours vagues, aux clartés lunaires, ils passèrent devant les constructions basses où les martinets faisaient rage. Et,