Page:Zola - Vérité.djvu/162

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quoique toujours en querelle. dans ce Moreux qui avait cessé de croire et presque de pratiquer. Et voilà comment l’instituteur Férou, torturé d’indigence, gorgé de fiel, devenu forcément socialiste, se faisait mal noter, en tenant des propos subversifs sur l’ordre social, qui le laissait crever de faim, lui, l’intelligence et le savoir, tandis que la stupidité et l’ignorance, à son entour, possédaient et jouissaient.

L’hiver fut très rude, des glaces et des neiges ensevelirent Jonville et le Moreux, dès novembre. Marc sut que Férou avait deux de ses fillettes malades, par ce froid terrible, pouvoir souvent leur donner du bouillon. Et il s’efforça de le secourir, si pauvre lui-même, qu’il dut mettre Mlle  Mazeline dans sa bonne œuvre. Il n’avait aussi que mille franc de traitement ; mais sa place de secrétaire de la mairie mieux payée, et le bâtiment, assez vaste, de la double école des garçons et des filles, l’ancienne cure restaurée, agrandie se trouvait dans de meilleures conditions d’hygiène. Jusque-là, d’ailleurs, il n’avait pu joindre les deux bouts que grâce aux libéralités de Mme  Duparque, la grand-mère de sa femme, des robes pour l’enfant, du linge pour la mère, de petites sommes aux jours de fête. Depuis l’affaire Simon, comme elle ne donnait plus rien, il en était presque soulagé, tant il avait souffert des paroles dures dont elle accompagnait ses cadeaux. Quelle gêne pourtant dans le ménage, quel redoublement de travail, de courage et d’économie il fallait, pour vivre debout à son poste, en toute dignité ! Marc, qui aimait sa besogne, l’avait reprise avec une sorte d’ardeur douloureuse, et personne, lorsqu’il faisait sa classe, remplissant ponctuellement tous ses devoirs, par ces premiers mois d’hiver si terribles aux pauvres, ne se douta même de la sombre douleur, de la désespérance atroce, dont il cachait jalousement les accès, sous son air de tranquille