Page:Zola - Vérité.djvu/167

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bout de cette angoisse dévoratrice ? Simon parlait avec douceur des voleurs et des assassins, ses compagnons, et sa haine, on le devinait, allait aux gardiens, aux bourreaux, qui, sans contrôle, en dehors du monde civilisé redevenus les hommes des cavernes, se plaisaient à faire souffrir d’autres hommes. Il y avait là un milieu de boue et de sang, sur lequel un forçat gracié vint un soir donner des détails atroces à David, en présence de Marc, et la pitié épouvantée et saignante des deux amis fut telle, qu’ils en criaient de douleur, soulevés l’un et l’autre d’une protestation furieuse.

Malheureusement, David et Marc, qui agissaient de concert, n’obtenaient pas grand résultat, malgré leur enquête continue, menée avec une obstination discrète. Surtout, ils s’étaient promis de surveiller l’école des frères, et particulièrement le frère Gorgias, qu’ils soupçonnaient toujours. Mais, un mois après le procès, les trois adjoints, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias, avaient disparu ensemble, envoyés dans une autre communauté, à l’autre bout de la France ; et seul le directeur, le frère Fulgence, était resté, avec trois nouveaux ignorantins. Ni David ni Marc ne purent rien tirer d’un tel fait, car il n’avait rien d’anormal, les frères passaient souvent ainsi d’une maison à une autre. D’ailleurs, du moment que tous les trois étaient déplacés, comment reconnaître celui qui pouvait avoir motivé ce déplacement ? Le pis était que la condamnation de Simon venait de porter un coup terrible à l’école laïque, plusieurs familles en avaient retiré leurs enfants, pour les mettre à l’école des frères. Les dames dévotes menaient grand bruit de l’abominable histoire, comme si l’enseignement communal, l’enseignement sans-Dieu était la cause de toutes les souillures et de tous les crimes. Jamais l’école des frères n’avait connu une telle prospérité, c’était le triomphe ravi de la congrégation, on ne rencontrait plus à Maillebois