Page:Zola - Vérité.djvu/166

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travailler au rabais pour les grands magasins de Paris. Mais, surtout, Mme Simon, la dolente Rachel, et ses enfants, Joseph et Sarah, souffraient affreusement de la haine sauvage où leur nom était tombé. Les enfants n’avaient pu retourner à l’école, les gamins les huaient, leur jetaient des pierres ; et le petit garçon, un jour, était rentré, la lèvre fendue. La mère, qui avait pris le deuil, d’une beauté plus éclatante en son éternelle robe noire, pleurait les journées entières, n’attendait plus le salut que d’un prodige. Et seul, dans cette maison dévastée, au milieu de ces douleurs qui s’abandonnaient, David restait debout, silencieux et actif, cherchant toujours, espérant toujours. Il s’était donné la tâche surhumaine de sauver et de réhabiliter son frère, il lui avait juré, lors de leur dernière entrevue, de ne plus vivre que pour percer l’affreux mystère, découvrir le véritable meurtrier, faire éclater la vérité au grand jour. Aussi avait-il définitivement confié l’exploitation de sa carrière de cailloux et de sable à un gérant dont il était sûr, ayant compris que, sans argent, il serait paralysé, dès les premières recherches. Lui, désormais, se consacrait à ces recherches, uniquement, sans cesse à l’affût des moindres indices, en quête des faits nouveaux. Et, si son zèle avait pu faiblir, les lettres que sa belle-sœur recevait de son frère, de loin en loin, datées de Cayenne avaient suffi pour exaspérer son courage. Le départ de Simon, l’embarquement avec d’autres misérables, l’arrivée là-bas, dans cette horreur du bagne, tous ces brûlants souvenirs le bouleversaient, en un mortel frisson. Puis, maintenant, c’étaient des lettres que l’administration châtrait, mais où l’on sentait, sous chaque phrase, le cri d’une intolérable torture, la révolte de l’innocent qui remâche sans fin son prétendu crime, en ne parvenant pas à s’expliquer comment il expie ainsi le crime d’un autre. La folie ne finirait-elle pas par être au