Page:Zola - Vérité.djvu/195

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les générations dont sera fait l’avenir. Marc en eut froid au cœur, jamais le péril que courait la nation ne lui était apparu si pressant et si redoutable, et il en fut saisi, comme d’une certitude indiscutable, définitive.

Cela était certain, la lutte allait s’engager sur le terrain même de l’école primaire, car la question unique était de savoir quelle instruction on donnerait au peuple, appelé peu à peu à déposséder la bourgeoisie de son pouvoir usurpé. En 89, victorieuse de la noblesse agonisant, la bourgeoisie l’avait remplacée ; et, pendant un siècle, elle venait de garder tout le butin, en refusant au peuple sa juste part. Maintenant son rôle était fini, elle le confessait elle-même, en passant à la réaction, affolée à l’idée de rendre, terrifiée par la montée de la démocratie, qui devait l’emporter. Hier voltairienne, lorsqu’elle se croyait en pleine et tranquille jouissance, aujourd’hui cléricale, dans son besoin inquiet d’appeler à sa défense les réactions du passé, elle n’était plus qu’un rouage usé, pourri par l’abus du pouvoir, que les forces sociales, toujours en marche, allaient éliminer fatalement. Et, dès lors, les énergies de demain se trouvaient dans le peuple, c’était là que dormaient des provisions, des réserves immenses d’hommes, d’intelligences, de volonté, encore endormis. Aussi Marc n’avait-il plus d’espoir que dans ces enfants du peuple, qu’on lui confiait, qui fréquentaient les écoles primaires, d’un bout de la France à l’autre. Ils étaient la matière brute dont serait faite la nation future, il fallait les instruire pour leur rôle de citoyens libérés, sachant et voulant, dégagés des dogmes absurdes, des mortelles erreurs religieuses, meurtrières se toute liberté, de toute dignité humaine. Il n’était de bonheur possible, moral et matériel, que dans la connaissance. La parole de l’Évangile : Heureux les pauvres d’esprit, était la plus effroyable fausseté, qui,