Page:Zola - Vérité.djvu/196

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pendant des siècles, avait maintenu l’humanité dans le bourbier de misère et de servitude. Non, non ! les pauvres d’esprit sont forcément du bétail, de la chair à esclavage et à souffrance. Tant qu’il y aura des multitudes de pauvres d’esprit, il y aura des multitudes de misérables, de bêtes de somme, exploitées, mangées par une minorité infime de voleurs et de bandits. Un jour, l’humanité heureuse sera l’humanité qui saura et qui voudra. C’était du noir pessimisme de la Bible qu’il fallait enfin délivrer le monde, épouvanté, écrasé depuis deux mille ans, ne vivant que pour la mort, et rien n’était plus caduc ni plus mortellement dangereux que le vieil Évangile sémite appliqué encore comme le seul code moral et social. Heureux ceux qui savent, heureux les intelligents, les hommes de volonté et d’action, parce que le royaume de la terre leur appartiendra ! Ce cri, maintenant, montait aux lèvres de Marc, de son être entier, dans un grand élan de foi et d’enthousiasme.

Et, brusquement, sa décision fut prise, il accepterait l’offre de Salvan, il viendrait à Maillebois, comme instituteur primaire, lutter contre l’Église, contre cet empoisonnement du peuple, dont l’imbécile cérémonie de l’après-midi était une crise délirante. Il travaillerait à la libération des humbles, il tâcherait de faire d’eux les libres citoyens de demain. Cette population qu’il venait de voir si alourdie d’ignorance et de mensonge, incapable d’être juste, il fallait la reprendre dans les enfants, dans les enfants des enfants, les instruire, refaire peu à peu un peuple de vérité, qui seulement alors serait un peuple capable de justice. C’était le devoir le plus haut, la bonne œuvre la plus pressante, celle dont dépendait le salut même du pays, sa force et sa gloire, dans sa mission libératrice et justicière, au travers des âges et des autres nations. Et, si une minute venait de suffire à le décider, après trois jours d’hésitations, d’angoisses, à l’idée