Page:Zola - Vérité.djvu/213

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être de douze cents francs désormais, et cela valait les mille francs de Jonville, puisqu’il ne fallait plus songer aux deux cents francs du secrétariat de la mairie. Comment vivre avec cent francs par mois, dans cette ville où la vie était plus chère ? Comment garder sa dignité, des redingotes propres, une apparence de ménage à l’aise ? Grave problème dont la solution nécessitait des prodiges d’économie, tout un héroïsme secret dans les détails infimes de l’existence. On mangeait souvent du pain sec, pour avoir du linge blanc.

Geneviève fut alors pour Marc une aide précieuse, une compagne admirable. Elle renouvela ses prodiges de Jonville, trouva le moyen de faire face aux besoins du ménage, sans trop laisser voir la grande gêne cachée. Elle devait s’occuper de tout, des blanchissages, des raccommodages, et Louise était toujours pimpante, souriante, avec de petites robes claires. Si, comme il était d’usage, l’adjoint Mignot avait pris ses repas chez son directeur, la pension payée par lui aurait un peu aidé Geneviève. Mais Mignot, garçon, ayant de l’autre côté du palier, sa chambre à part, avait préféré manger dans un restaurant voisin, peut-être pour marquer son hostilité et ne pas se compromettre dans la compagnie d’un homme que Mlle  Rouzaire vouait aux pires catastrophes. Lui-même menait la misère des jeunes adjoints, avec ses soixante et onze francs vingt-cinq centimes par mois, mal vêtu, mal nourri, n’ayant d’autre plaisir que la pêche, le jeudi et le dimanche. Il n’en était que plus fâché, plus méfiant, comme si Marc eût été la cause des mauvaises soupes de sa gargote. Et Geneviève pourtant se montrait très prévenante : elle lui avait offert de raccommoder son linge, elle s’était empressée de lui faire de la tisane, un soir de rhume. Ce garçon n’était pas méchant, comme elle et son mari le disaient ; seulement, il se trouvait bien mal conseillé ; et on finirait sans doute par le gagner des sentiments