Page:Zola - Vérité.djvu/279

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débris d’abattoir, le portant au bout d’une pique, comme un drapeau. Et tout le génie des jésuites se retrouvait là, la religion humanisée, Dieu venant à l’homme, du moment que des siècles d’efforts n’avaient pu amener l’homme à Dieu. Il fallait bien donner à ce peuple ignorant le seul Dieu qu’il comprenait, fait à son image, saignant et douloureux comme lui, une idole violemment enluminée dont la matérialité brutale achevât de changer ses fidèles en un troupeau de bêtes grasses, bonnes à tuer. Toute conquête sur la raison est une conquête sur la liberté, et il devenait nécessaire de rabaisser la France à ce culte sauvage du Sacré-Cœur, si l’Église voulait la faire rentrer en soumission sous l’imbécillité de ses dogmes. Et, dès le lendemain de la défaite, dans la douleur des deux provinces perdues, on avait vu la tentative se produire, l’Église profiter du désarroi public pour essayer de consacrer au Sacré-Cœur la France repentante de ses fautes, châtiée si rudement par la main de Dieu. Sur le sommet le plus haut du grand Paris révolutionnaire, elle avait dressé ce Sacré-Cœur pantelant et rouge, tel qu’on en voit de pendus aux crocs des bouchers. De là, il saignait sur le pays entier, jusqu’au fond des campagnes reculées ; et, s’il provoquait, là-haut, à Montmartre, des adorations de dames et de messieurs, appartenant à l’administration, à la magistrature, à l’armée, de quelle émotion ne devait-il pas troubler les êtres simples, les ignorants et les croyants des villages ? Il devenait l’emblème national du repentir et de l’abandon complet aux mains de l’Église, on le brodait au milieu du drapeau tricolore, dont les trois couleurs n’étaient plus que l’azur du ciel, les lis de la Vierge, le sang des martyrs. Et il apparaissait de la sorte, énorme, gonflé et ruisselant de sang, pendu ainsi que le Dieu nouveau du catholicisme dégénéré, offert à la basse superstition de la France asservie.

Le père Crabot avait dû d’abord avoir l’idée de triompher à Maillebois