Page:Zola - Vérité.djvu/428

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depuis des siècles. On la lui avait prise, on ne la lui rendrait jamais, il ne la verrait même plus. Et c’était lui qui avait envoyé à l’erreur cette victime, sans défense encore, et il tombait dans une atroce désespérance, dans l’anéantissement de son œuvre, de lui-même et des siens.

Huit heures sonnèrent, Marc n’avait pas eu la force de s’asseoir seul à sa table, pour dîner, dans la pièce devenue noire, lorsque quelqu’un frappa timidement à la porte. Étonné, il vit entrer Mignot, qui eut quelque peine à s’expliquer d’abord.

— Voilà, monsieur Froment… Comme vous m’avez annoncé ce matin le départ de votre petite Louise, une idée m’a roulé dans la tête toute la journée… Alors, ce soir, avant d’aller dîner à mon restaurant…

Il s’arrêta, cherchant sa phrase.

— Comment ! s’écria Marc, vous n’avez pas encore dîné, Mignot ?

— Mais non, monsieur Froment… Voilà, mon idée était de venir avec vous, pour vous tenir un peu compagnie ; et j’ai hésité, j’ai perdu du temps… Si ça vous faisait plaisir, à présent que vous êtes seul, je pourrais reprendre pension chez vous. Deux hommes, ça s’entend toujours. Nous ferions la cuisine, nous viendrions bien à bout du ménage, que diable !… Voulez-vous ? ça me rendrait bien heureux.

Un peu de joie était rentré dans le cœur de Marc. Il eut un sourire ému.

— Je veux bien… Vous êtes un brave garçon, Mignot… Tenez ! asseyez-vous, nous allons commencer par dîner ensemble.

Et ils dînèrent en face l’un de l’autre, le maître retombé dans son amertume, l’adjoint se levant sans bruit, pour un plat ou un morceau de pain, au milieu de la grande paix mélancolique du soir.