Page:Zola - Vérité.djvu/516

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prendre des notes, leur faisait préciser certains détails, comme si l’accusation était toujours acquise à leur système. Dans la salle, devant cette mise en scène, des gens raisonnables se remettaient à hésiter : pourquoi pas ? mon Dieu ! car, en fait d’écriture, on ne savait jamais. Mais, à la fin de l’audience, un incident, qui ne dura pas dix minutes, bouleversa les esprits. On vit apparaître à la barre, tout vêtu de noir, l’ancien juge d’instruction Daix, cité par la défense. Il avait à peine cinquante-six ans, il en paraissait soixante-dix, maigri et courbé, les cheveux tout blancs, la face réduite à la mince lame du nez. Il venait de perdre sa terrible femme, on racontait la torture où cette ambitieuse, laide et coquette, l’avait fait vivre, en voyant que rien ne les tirait du destin médiocre de leur ménage, pas même cette condamnation du juif Simon qu’elle avait voulue et dont elle avait tant espéré. Et Daix, timide, inquiet, professionnel méticuleux, honnête homme au fond, venait soulager sa conscience, maintenant que sa femme n’était plus là, tourmenté des actes arrachés à sa faiblesse, dans son besoin d’avoir la paix chez lui. Il ne parla pas directement de ces choses, il ne convint même pas que, dans l’état où l’affaire était entre ses mains, après l’instruction ouverte par lui, une ordonnance de non-lieu s’imposait. Seulement, il se fit interroger par Delbos, et questionné sur son opinion actuelle, il déclara nettement que l’enquête de la Cour de cassation ruinait son œuvre, l’acte d’accusation de jadis, et que pour lui désormais Simon était innocent. Puis, il se retira, au milieu du saisissement muet de la salle. L’apparition de cet homme en deuil, l’aveu fait d’une voix lente et triste avaient bouleversé tous les cœurs.

Et, ce soir-là, chez Marc, dans la grande pièce de la maison isolée où l’on se réunissait après chaque audience, pour se concerter, Delbos et David témoignèrent une joie vive, une presque certitude du succès final, tellement la déposition de Daix