Page:Zola - Vérité.djvu/517

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semblait avoir impressionné le jury. Cependant, Marc restait soucieux. Il leur conta des bruits qui circulaient sur les agissements sourds de l’ancien président Gragnon, très actif, menant toute une campagne souterraine, depuis son arrivée à Rozan. Tandis qu’on se réunissait chez lui, Marc n’ignorait pas que, dans la rue voisine, chez Gragnon, des conciliabules avaient également lieu chaque soir, en grand mystère ; et, certainement, on y décidait la conduite à tenir le lendemain, on y inventait les réponses à faire, les incidents à créer, on y préparait surtout les témoignages, selon les résultats donnés par l’audience du jour. Quand cette audience était jugée désastreuse pour l’accusation, on pouvait être sûr de voir se produire, au début de l’audience du lendemain, quelque coup de surprise accablant l’accusé. On avait revu le père Crabot se glisser chez Gragnon. Plusieurs personnes affirmaient avoir reconnu le jeune Polydor qui en sortait. D’autres prétendaient s’être heurtés dans la rue, très tard, à une femme et à un monsieur, d’une singulière ressemblance avec Mlle Rouzaire et Mauraisin. Mais le pis était une certaine entreprise, un mystérieux travail mené autour des jurés notoirement cléricaux, dont on avait parlé à Marc, sans pouvoir le renseigner pleinement. Gragnon ne commettait pas la faute de les attirer chez lui, ni même de s’adresser à eux en personne ; mais il les faisait visiter, il leur faisait montrer, disait-on, la preuve irréfutable de la culpabilité de Simon, une pièce terrible que des raisons graves l’empêchaient de produire au grand jour, et dont pourtant il finirait par faire usage, si la défense le poussait à bout. Et Marc s’inquiétait de la nouvelle abomination qu’il flairait, et il annonçait pour le lendemain, à la suite du coup désastreux porté par Daix à l’accusation, quelque retour offensif, la foudre que Gragnon disait avoir en poche.